L’intelligence artificielle dans le milieu médical : un atout pour les patients et les praticiens
Paradoxalement, le développement de l’intelligence artificielle ia et des différentes technologies (algorithmes, logiciels…) dans le domaine médical rend la médecine plus humaine et plus empathique. Démonstration de l’intérêt de la collaboration humain-machine par Eneric Lopez de chez Microsoft.
Animateur du podcast – Nicolas Latour :
Bonjour, je suis Nicolas LATOUR et je vous propose de découvrir le monde de l’intelligence artificielle avec notre invité, Eneric Lopez, qui est aujourd’hui à la tête de la stratégie et des initiatives sur l’Intelligence Artificielle pour la France chez Microsoft.
Dans la pratique médicale, l’IA est surtout connue en imagerie, dans l’aide au diagnostic et dans les prises des décisions.
Quels sont les autres champs d’application de l’intelligence artificielle ia dans le milieu médical ?
“De mon point de vue, on peut aborder les cas d’usage de l’IA dans le monde de la santé sous 3 angles différents : celui du parcours patient, celui du praticien et celui de la recherche.”
Premier angle, celui du parcours patient : prenons le cas d’un patient qui utilise un chatbot, un agent conversationnel qui lui permet de poser ses questions en langage naturel et d’avoir des réponses. Pendant la crise du Covid, aux hospices civils de Lyon, l’un de ces chatbot a été mis au point, et rendu accessible depuis leur site Internet pour aider les patients à avoir rapidement des informations. Cet agent conversationnel a ainsi permis de désengorger le centre d’appel.
On peut aussi avoir un agent conversationnel qui va commencer à noter des informations, comme certains symptômes, et utiliser ces informations pour faire un filtrage progressif afin d’orienter les patients vers le bon service ou le bon spécialiste.
En numérisant le parcours patient, on génère progressivement de la donnée, qui pourra être utilisée pour optimiser le suivi et pour personnaliser le parcours de soins.
Sous l’angle du praticien, cette technologie peut être un outil d’aide dans des tâches à moins forte valeur ajoutée, et va permettre d’automatiser un certain nombre de choses. Le cas le plus emblématique est la prise de note. Beaucoup de médecins utilisent l’IA : quand ils dictent, un logiciel va alors « comprendre » ce qui est dit, c’est-à-dire traduire la voix en texte. Derrière, on va être capable de rajouter de l’intelligence à cette prise de note pour retrouver des mots-clés. Ces mots-clés, c’est de la compréhension du langage, qui va pouvoir peut-être amener à de l’aide à la décision.
Un exemple d’aide à la décision concerne la iatrogénie médicamenteuse. Une start-up a mis au point un outil d’IA d’aide à la prescription, qui prend en compte toutes les contre-indications et toutes les interactions médicamenteuses.
L’IA est bien connue en imagerie médicale, dans l’identification de différentes tumeurs mais on peut aussi l’utiliser pour analyser des électrocardiogrammes. Au CHRU de Nancy, ils l’ont utilisé sur des courbes de sommeil, un processus de pré-diagnostic qui peut faire gagner beaucoup de temps aux médecins chargés d’analyser la qualité du sommeil des patients.
L’IA va pouvoir aider le praticien à se concentrer sur son expertise ou l’orienter vers la bonne documentation. Quand on voit la quantité d’informations qui est générée, si on prend l’exemple d’un généraliste il ne peut pas être un spécialiste de tout. En fonction du contexte, du patient, de la prise de note …, l’IA peut orienter le médecin vers la bonne information, la bonne documentation. Il aura la possibilité d’approfondir ou bien il orientera directement son patient, le but évidemment n’est pas que le généraliste devienne un spécialiste.
Enfin sous l’angle de la R&D, l’IA permet de plus en plus d’identifier les bonnes cibles thérapeutiques, de faire de la médecine de précision. Dans un contexte de développement clinique, elle peut identifier les patients qui répondent le mieux aux critères pour pouvoir les inclure dans une étude.
Il y a aussi des cas d’usage autour de la pharmacovigilance, pour détecter avec de l’IA des signaux faibles, voire même des faux positifs ou des nouvelles pathologies. Il y a également tout un champ d’application sur les jumeaux numériques : imaginez que l’on fasse un jumeau numérique de certaines molécules ou de certains traitements. On va pouvoir réaliser des simulations avant de passer à la réalisation concrète, en particulier dans le domaine de l’analyse du génome ou de la compréhension des interactions entre les molécules ou les traitements.
L’IA, c’est un peu cette image de science-fiction dans laquelle la machine surpasse l’être humain et fini par prendre sa place.
Les “robots intelligents” vont-ils remplacer les professionnels de santé?
Ma conviction profonde et la conviction profonde de la plus grande partie des experts sur le sujet, même s’il y a des fantasmes autour de « super intelligence », est qu’on est loin d’être remplacés. Pour pleins de raisons ! Déjà prenons la dimension technologique avec l’exemple du radiologue : dans la littérature, on lit que l’on a des moteurs d’analyse d’imageries médicales par ordinateur qui ont, je ne vous donne pas de chiffres précis mais un ordre d’idée, un taux de réussite à 95 % alors qu’un praticien est en moyenne à 93 %. On a donc tendance à se dire que la machine est plus performante que l’humain. Là où on biaise les résultats, c’est que la machine a été entraînée sur un ensemble de données qui représenteraient 10 000 praticiens, 10 000 vies. On ne peut pas comparer un humain avec 10 000 autres. Et ce que l’on ne dit jamais, c’est que si l’on met ce même outil algorithmique dans les mains des praticiens, on arrive à un taux de réussite qui est de l’ordre de 97 %, et ce taux de 97 % on ne sera peut-être jamais en mesure de l’atteindre uniquement avec de l’algorithmie. Donc d’un point de vue purement « résultats bruts », on sait pertinemment que le vrai sujet, c’est la collaboration humain-machine.
Mais ce n’est pas la clé pour moi. La clé, ce n’est pas la performance pour la performance. La clé, c’est cette dimension humaine et empathique qui défini la pratique médicale, que la personne soit experte ou plus généraliste, et qui ne sera jamais remplacée. Cette dimension de transversalité est nécessaire. Moi j’aurais plutôt tendance à dire que l’IA va automatiser un certain nombre de tâches à faible ou basse valeur ajouté pour amplifier une certaine forme d’ingéniosité humaine.
Il y a également une dimension réglementaire et éthique qui fait que dans le secteur médical, on laissera toujours un humain. Pour résumer, que ce soit d’un point de vue technologique, relation humaine, et particulièrement dans la médecine, ou que ce soit d’un point de vue réglementaire, éthique et juridique, on n’aura, à mon sens, jamais une IA qui remplacera l’humain.
Comment l’IA peut-elle faire évoluer la relation patient/médecin ?
Dans notre exemple précédent, si je suis soulagé de la prise de note en temps réel, je peux être 200 % concentré sur l’échange que j’ai avec mon patient et à 200 % concentré sur ce qu’il est en train de dire en filigrane et qu’une machine ne sera pas forcément capable de détecter ou de comprendre, que ce soit dans l’environnement du patient, dans sa façon de présenter les choses ou dans les non-dits. Soulager le médecin dans la recherche de documentation pour avoir rapidement l’endroit où il faut creuser, l’endroit où il faut chercher, le soulager dans le triage des informations, dans l’Administratif au sens large du terme, c’est autant de temps de gagné pour travailler autre chose, et donc se concentrer sur le cœur de son activité et de son métier.
Travailler autre chose, cela peut être de l’expertise mais cela peut également être des compétences plus transversales, ce que l’on appelle des soft skills : travailler sa relation au patient, à ses collègues, ou développer des collaborations entre praticiens. Ça ouvre le champ des possibles pour tout le personnel médical. L’IA rend possible cette ouverture, et il y a dans cette ouverture non Seulement une dimension technique liée aux compétences du métier, mais également une dimension humaine liée à l’empathie.
Nicolas Latour :
Pour conclure, que retenir de vos propos ?
Eneric Lopez :
Ma vision des choses, c’est que l’IA en médecine ne peut être qu’un outil d’assistance voire de collaboration mais ne remplacera jamais l’humain, pour des raisons affectives au sens large du terme, et pour des raisons éthiques. Les machines pourraient même permettre de remettre la dimension humaine au centre de la relation patient/soignant.
Nicolas Latour :
Définitions
Chatbot médical : “agent conversationnel”, mis en place pour mener une conversation avec un patient.