Stéphane Roze, économiste de la santé, PDG de Vyoo Agency : “Les mesures médicament de la LFSS restent floues en attendant les textes d’application”
Le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2023 a été adopté sans vote le 2 décembre. Un PLFSS mouvementé, dont l’article 30 concernant le médicament comprend notamment un nouveau mécanisme de financement des thérapies innovantes. Avec encore des interrogations à la clé, décrypte Stéphane Roze, économiste de la santé.
Quel commentaire général feriez-vous cette année à propos du PLFSS ?
Nous avons assisté à une rupture, déjà en raison de son vote par le 49-3. Les avis étaient peu consensuels sur le financement de la santé, même au sein de la majorité. Sur le fond, on peut voir dans cette LFSS la fin du “quoi qu’il en coûte”. On peut aussi noter une forme de rupture dans la politique conventionnelle sur le médicament. Enfin, je crois que c’est la première fois que le flou demeure autant à la lecture de la loi sur les mesures médicament, en attendant ses textes d’application.
La principale mesure intéressant l’hôpital est la mise en place d’un mécanisme de financement dérogatoire pour les médicaments de thérapie innovante (MTI). Le remboursement étant conditionné à l’efficacité…
En effet, mais le périmètre des produits concernés n’est pas clair pour l’instant, même si l’on a beaucoup parlé des thérapies géniques ou cellulaires. En tant qu’économiste de la santé, il me paraît logique de mesurer le bénéfice des thérapies dont le coût par patient va de plusieurs centaines de milliers d’euros à plus de 2 millions. On est dans une logique d’investissement avec incertitude, d’où la mise en place d’un cadre. Cela pose cependant la question de votes d’Objectifs nationaux de dépenses d’assurance maladie annuels, alors qu’il faudrait avoir une visibilité pluriannuelle de ces thérapies, avec idéalement un coût lissé dans le temps, comme un amortissement.
La bonne nouvelle pour l’hôpital, c’est une forme de visibilité et de sécurité financière sur ces MTI ?
La loi nous dit que le montant à avancer par un centre hospitalier pour le traitement d’un patient (avant d’être remboursé dans un second temps par l’assurance maladie) ne pourra pas dépasser un forfait, qui reste lui aussi à fixer, mais dont on parle autour de 280000 euros. Le reste étant directement payé à l’industriel par l’assurance maladie. En théorie, cela est de nature à rassurer les médecins et pharmaciens pour la prise en charge d’un patient. Mais il faut rester prudent en attendant les textes d’application, ne serait-ce que pour avoir une idée du nombre de cas concernés. Impossible également de saisir aujourd’hui quel impact cela pourra avoir sur les prix. Ces produits feront l’objet d’un conventionnement spécifique, probablement avec le comité économique des produits de santé (CEPS, ministère).
Faudra-t-il un recueil de données de vie réelle à l’hôpital, comme dans le nouvel accès précoce ?
Je ne vois pas d’autre possibilité. Cela nécessitera un investissement de ressources, car, historiquement, on sait que les hospitaliers remplissent certains registres “comme ils peuvent”. Sauf renfort d’un ARC à la faveur d’une bourse, il y a des trous dans la raquette ! Si l’idée d’un suivi en vie réelle est bonne, le législateur a une vision assez naïve de la façon dont il peut être mis en place.
Sur le fond, ce sont des contrats à la performance qui ne disent pas leur nom, alors même que le CEPS a jusque-là été plutôt contre. Enfin, avec une écriture assez approximative de la loi, il est encore difficile de dire quelle part du traitement restera due en cas d’arrêt de la prise en charge selon les situations (décès du patient, inefficacité constatée, administration concomitante ou séquentielle d’un autre traitement de même visée thérapeutique…). Là aussi, ce sont les textes d’application qui nous éclaireront.
Autre mesure abordée dans la LFSS : l’ajout à partir de 2024 de remises pour les industriels sollicitant un remboursement dans un périmètre restreint d’indications. L’idée est de mettre fin à certaines stratégies de prix ?
Oui, c’est une critique que l’on entend régulièrement. Mais le CEPS est déjà très bien armé pour négocier les prix à la baisse dans ces cas de figure en cas d’impact budgétaire important. Alors pourquoi une mesure législative sur ce point…
Un mot sur le retrait du PLFSS des procédures de référencement de produits génériqués ?
On peut y voir une ouverture d’esprit, s’agissant d’une mesure qui était critiquée par tous les acteurs. Mais n’était-ce pas au départ un ballon d’essai en vue d’observer les réactions à une telle mesure ? En tout cas, elle aurait été aussi à l’encontre de la volonté affichée de faire vivre une politique conventionnelle et des discours récents sur l’autonomie stratégique à acquérir dans le domaine du médicament.
Propos recueillis par François Silvan