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La microfluidique, une approche révolutionnaire au service de la lutte contre le cancer


Qu’est-ce que la microfluidique ?

Microfluidique et cancer

Comment la définit-on généralement ? 1

La microfluidique est à la fois une science et une technique reposant sur la manipulation des fluides à l’échelle micrométrique, c’est-à-dire à l’ordre du millième de millimètre. Elle permet notamment de réaliser des laboratoires miniaturisés d’environ 1 centimètre. Ces laboratoires sur puces (lab on chip) permettent de faire des analyses très rapides avec un minimum de réactifs.

Ce domaine en plein essor s’inspire de certaines propriétés et fonctions du vivant. Par exemple, l’arbre, qui draine la sève vers des milliers de feuilles grâce à un réseau de millions de capillaires microscopiques et de vannes, est un système microfluidique.

Quels sont ses avantages ? 1

La microfluidique présente de nombreux avantages. Premièrement, elle permet d’accélérer la vitesse des analyses et des diagnostics réalisés à partir de fluide. Par exemple, elle permet d’obtenir différents taux d’hormones à partir d’une goutte de sang en quelques minutes, ou bien de réaliser un séquençage d’ADN en quelques heures. Des outils microfluidiques permettent, par ailleurs, de mener plusieurs analyses en parallèle et d’effectuer des analyses à partir de très petites quantités d’échantillon (une seule cellule dans le cadre de l’analyse en cellule unique ou « single cell »). Enfin, la microfluidique permet de réduire les coûts.

Quelles sont ses applications actuelles ? 1

La microfluidique est d’ores et déjà utilisée afin d’effectuer des analyses complexes à partir d’une simple goutte et d’injecter des produits dans le corps humain.

Par exemple, un laboratoire sur puce utilisant les principes de la microfluidique permet de diagnostiquer la réalité d’une crise cardiaque à partir de gouttelettes  sang en quinze minutes (alors que les techniques  traditionnelles nécessitent plus de dix heures).

On peut également citer les puces microfluidiques de génotypage un ensemble de microcanaux gravés  dans un matériau. Ces dernières permettent l’identification d’un virus à partir de séquences génomiques, les puces de diagnostic de pathogènes qui utilisent un échantillon corporel pour déterminer la présence d’un virus, d’une bactérie ou d’un micro-organisme en quelques minutes, ou encore les tests sanguins équipés d’une puce électronique qui permettent de détecter simultanément, et en vingt minutes, le virus du sida, la syphilis et une dizaine d’autres maladies infectieuses (hépatites B et C, herpès, etc.).

Enfin, dans un autre domaine, on peut citer les micropompes qui permettent d’injecter un produit dans le corps humain. Par exemple, une pompe d’injection d’insuline dans le foie permet de traiter le diabète de façon efficace et confortable pour le malade.

Quelles pourraient être ses applications futures ? 1

À l’avenir, la microfluidique sera très utile dans le domaine de la médecine personnalisée en oncologie. Par exemple, elle permettra d’identifier, parmi des millions de cellules, celles porteuses de mutations associées à des cancers.

Citons également la biopsie liquide qui permet de récupérer des cellules tumorales circulantes. À l’avenir, sa généralisation va permettre de recueillir, sans intervention chirurgicale, de précieuses informations sur la composition des tumeurs et leur stade de développement.

Par ailleurs, grâce à la microfluidique, il sera un jour possible de réaliser des millions de tests par heure afin, par exemple, de sélectionner des groupes de cellules produisant des anticorps ciblant certaines bactéries.

De façon générale, la microfluidique pourrait révolutionner les technologies de  l’industrie pharmaceutique et le développement thérapeutique en parvenant à tester des molécules 10 000 fois plus vite et pour 10 000 fois moins cher. Elle pourra aussi créer de nouveaux systèmes de délivrance beaucoup plus performants.

En conclusion, à l’avenir, les applications de la microfluidique pourraient être très nombreuses, que ce soit pour combattre le cancer, pour découvrir de nouvelles particules  ou pour bien d’autres choses comme par exemple, lutter contre l’infertilité masculine. 2

Comment la microfluidique permet-elle de lutter contre le cancer ?

Les organes sur puce au service de l’oncologie 3

Après des décennies à étudier les cellules cancéreuses cultivées sur une surface plastique en 2 dimensions, la biologie cellulaire s’est progressivement complexifiée en intégrant une 3e dimension. Cette approche reproduit les interactions cellule-cellule, ce qui a une influence sur la signalisation intracellulaire. Un des avantages des cultures 3D est de pouvoir introduire au sein de sphéroïdes (agrégats cellulaires) des cellules annexes qui sont présentes dans les tumeurs, comme les fibroblastes ou les cellules immunitaires, ce qui modifie certaines voies de prolifération des cellules cancéreuses, et permet donc d’obtenir des modèles plus proches de la réalité du vivant.

Toutefois, ces cultures en suspension ne peuvent pas totalement rendre compte de la croissance des tumeurs. En effet, elles ne reproduisent pas les interactions et les échanges entre la tumeur, les tissus voisins et le système vasculaire environnant, qui sont des contributeurs importants de progression du cancer.

Pour pallier ces défauts et définir des modèles thérapeutiques plus prédictifs, une nouvelle technologie se développe : les organes sur puce intégrés dans un système de microfluidique. Ces éléments  miniaturisés combinent la technologie de la microfluidique et de la culture cellulaire pour reproduire l’environnement complexe d’une tumeur au sein d’un organe. Ainsi, ils reproduisent les contacts entre le tissu sain, la tumeur et son environnement, et intègrent des données chimiques et mécaniques. Ces modèles sont très intéressants pour évaluer l’efficacité de drogues en oncologie car ces diverses conditions de culture modulent l’expression de certains récepteurs de surface qui peuvent être la cible d’agents anticancéreux (par exemple l’EGFR). Autre avantage, ces cultures peuvent être maintenues à long terme, ce qui est un élément important pour la recherche en oncologie.

Ce type de mise en place  tirant parti de la microfluidique permet d’analyser la plupart des étapes de progression du cancer : la croissance tumorale et son expansion, l’angiogenèse, la transition épithélio-mésenchymateuse, la migration et l’invasion d’une cellule tumorale, ou encore les différentes étapes du processus métastatique.

L’intérêt de ces micro-dispositifs ne se limite pas au cancer. En effet, des organes sur puce utilisant la microfluidique reproduisent les propriétés fonctionnelles et mécaniques de divers organes, comme les tubules rénaux, l’intestin grêle, le foie, la moelle osseuse ou encore la barrière hémato-encéphalique. De façon très intéressante, certains sont constitués non plus de cellules isolées, mais de « copeaux » d’organe, ce qui augmente le champ de leurs applications. Ils permettent d’évaluer les réponses aux drogues dans des conditions quasi physiologiques, ouvrant ainsi de nouvelles perspectives pour le développement de médicaments et de stratégies thérapeutiques innovantes.
À terme, ces outils  microfluidiques pourraient même permettre d’évaluer des thérapies ciblées sur des biopsies, ce qui aidera les médecins à choisir la thérapie la plus adaptée à chaque patient.

La PCR digitale au service de l’étude de l’ADN circulant 4

L’ADN libre circulant

Chez les patients atteints de cancers, les concentrations d’ADN libre circulant (acides nucléiques circulant dans le plasma) sont bien plus importantes que chez les sujets sains (respectivement
0 – 5 000 ng/mL vs 0 – 100 ng/mL). Ils se présentent sous la forme de fragments d’ADN libérés lors de la mort de cellules, notamment de cellules tumorales. Or l’ADN circulant tumoral possède les mêmes signatures moléculaires que la tumeur. Ainsi, le suivi de ces marqueurs circulants permet de suivre l’évolution de la tumeur, de déterminer l’efficacité d’un traitement et de détecter d’éventuelles récidives. Par ailleurs, l’ADN tumoral circulant est plus représentatif de l’état pathologique du patient qu’une biopsie classique puisqu’il reflète l’hétérogénéité clonale de la tumeur, d’éventuelles métastases ou encore d’autres foyers tumoraux.

Toutefois, l’ADN libre tumoral circulant peut être très fortement dilué dans le pool d’ADN libre circulant provenant de la mort de cellules non cancéreuses. On estime que l’ADN libre tumoral circulant représente moins de 0,01 % de l’ADN libre circulant total pour des cancers à

un stade précoce, et plus de 50 % pour des cancers métastatiques. L’analyse de l’ADN tumoral circulant nécessite donc des outils de dépistages  spécifiques, et c’est ici que la microfluidique intervient.

L’apport de la microfluidique via la PCR digitale

La dPCR (PCR digitale) utilise la microfluidique et permet la détection et la quantification de séquences rares d’acides nucléiques diluées dans une large quantité de séquences issues de cellules saines. La technique consiste à réaliser une réaction de PCR, non pas sur un mélange d’ADN cibles, mais sur des ADN cibles individuels, compartimentés par dilution de l’échantillon initial (grâce à des outils microfluidique). Ainsi, chaque compartiment ne peut qu’être positif ou négatif pour la séquence ciblée. Cela confère à cette procédure un caractère quantitatif, étant donné que chaque évènement (positif ou négatif) peut être compté: c’est de cette binarité que vient le terme de PCR « digitale ».

La dPCR consiste à diluer un échantillon en un grand nombre de partitions et à compter le nombre de partitions dans lesquelles une réaction a lieu. Dans cet exemple, deux ADN sont ciblés avec des sondes portant des fluorophores différents (rouge ou vert).

La dPCR permet donc la détection de nombreux marqueurs génétiques dans le sang de patients atteints de cancer. Elle permet de réaliser plus efficacement les tests, mais également de réaliser des expériences au-delà des capacités des procédures conventionnelles. Ainsi, la dPCR est particulièrement pertinente pour la  découverte  et la quantification de marqueurs minoritaires, incluant les sous clones rares au sein de la tumeur ou de l’ADN libre circulant.

De nombreuses études réalisées sur l’ADN libre circulant via des techniques de dPCR tendent à valider l’utilisation de cette technique pour le diagnostic, la détection de résistances et le suivi des patients pour, par exemple, anticiper une éventuelle récidive.

Par ailleurs, au-delà des mutations spécifiques de tumeurs, de nouvelles stratégies permettent de détecter et quantifier d’autres types de marqueurs tumoraux tels que les microARN dans le sérum de patients atteints de cancer, l’hyperméthylation de certains gènes, ou les cellules tumorales circulantes sont aujourd’hui développées, permettant ainsi d’étudier de façon quantitative de très nombreux marqueurs des processus tumoraux.

À terme, la microfluidique pourrait donc permettre de suivre l’évolution des cancers « en temps réel » et d’adapter les stratégies thérapeutiques de façon plus efficace, sans avoir recours à des biopsies invasives.


Références

(1) Leem. La microfluiduque – Santé 2030.

(2) Samuel R, et al. Microfluidic-based sperm sorting & analysis for treatment of male infertility. Transl Androl Urol. 2018 (Suppl 3):S336-47.

(3) Malla A, et al. Des organes sur puce au service de la cancérologie. Med Sci. Volume 35, Number 5, Pages 419-22.

(4) Caen O, et al. PCR digitale en micro-compartiments. Apport pour la détection quantitative d’ADN tumoral circulant. Med Sci. Volume 31, Number 2, Pages 180-6.