Se dirige-t-on vers une médecine 100 % personnalisée ?
La médecine personnalisée constitue une approche révolutionnaire dans le domaine de la santé. Son principal objectif est d’atteindre une harmonie parfaite entre le bon traitement, le bon patient et le bon moment. Face à cette évolution, une question émerge : se dirige-t-on vers une médecine 100 % personnalisée ? Pour y répondre, il est essentiel de comprendre les fondements et les enjeux de cette approche médicale novatrice.
Fondements et définition de la médecine personnalisée et de précision
Médecine personnalisée ou médecine de précision : de quoi parle-t-on ?
Les traitements et les conseils dispensés sont ajustés aux caractéristiques intrinsèques (maladie, symptômes) mais aussi extrinsèques (environnement, modes de vie) du patient. On prend en compte le patient dans sa globalité pour lui élaborer une prise en charge sur mesure.1,2
Pour cela, les individus sont classés dans des sous-populations selon leur susceptibilité de développer une maladie particulière ou sensible à un traitement spécifique. Des interventions à but préventif ou thérapeutique seront alors proposées uniquement à ceux qui pourront en tirer un bénéfice, épargnant ainsi les frais et les effets secondaires aux autres.1
Au cœur de cette révolution, la médecine translationnelle permet la compréhension des mécanismes des maladies en laboratoire, tout en évaluant l’efficacité et la tolérance des nouveaux traitements sur les patients en clinique. Ainsi, elle facilite l’intégration des connaissances scientifiques dans la pratique clinique en transformant les découvertes en laboratoire en une application concrète pour les patients.3
Les données de santé au coeur de la médecine personnalisée
Les données de santé issues des patients
Les avancées rapides en génomique et biologie moléculaire, incluant le séquençage du génome humain et l’apparition de profils moléculaires des tumeurs, ont permis de générer un grand nombre de données sur les caractéristiques génétiques, moléculaires et environnementales des patients : ces sont les données de santé.4,5
La stratification clinique des patients par population, basée sur ces données de santé, offre la possibilité de répondre de manière ciblée et spécifique à leurs besoins individuels tout en réduisant les effets indésirables potentiels. Le patient est spécifique car il appartient à un sous-groupe. 4,6
Comment exploiter les données de santé ?
La nécessité de travailler sur de grandes populations a abouti à la mise en place d’une collecte de données observationnelles en situation clinique, formant ainsi un réseau commun de données partagées avec la communauté scientifique et médicale. Cela permet de constituer un socle solide de connaissances sur les variants génétiques associés à différentes maladies.4,7
En 2013, des institutions de recherche se sont rassemblées sous le nom de l’Alliance mondiale pour la génomique et la santé. En unissant leurs efforts, ils ont établi un cadre commun pour le partage responsable, volontaire et sécurisé des données génomiques et cliniques.4
La question de savoir si l’accumulation de données permettra, à terme, de fonder valablement une médecine personnalisée telle qu’elle est envisagée aujourd’hui, reste ouverte voire controversée. 4
Actuellement, l’oncologie est la spécialité médicale la plus avancée dans cette démarche. Les recherches en cours visent à utiliser les altérations génétiques de la tumeur pour choisir le traitement le plus efficace ou le mieux toléré, et également éviter un traitement qui serait inefficace avec des effets indésirables potentiellement toxiques.4
Les applications thérapeutiques de la médecine personnalisée et de précision
Le diagnostic précoce et les mesures préventives
La médecine personnalisée et de précision va au-delà de l’adaptation d’un traitement aux caractéristiques spécifiques d’un patient ou d’une tumeur. Elle permet également de détecter une éventuelle prédisposition à une maladie et d’offrir une prévention adaptée.8
En se basant sur les antécédents médicaux et familiaux d’un patient, il est possible d’identifier des anomalies génétiques témoignant d’une forme héréditaire de cancer avant même l’apparition de la maladie. Si une prédisposition génétique est confirmée, les membres de la famille concernée devraient rentrer dans un programme de suivi personnalisé avec la mise en place éventuelle de mesures préventives (ex : chirurgie prophylactique).8
Des biomarqueurs peuvent être utilisés pour tester les patients et déterminer s’ils présentent ou non une altération spécifique pouvant augmenter le risque de cancer par rapport à la population générale. Ainsi, plus de la moitié des thérapies ciblées autorisées nécessitent des tests pour détecter la présence ou l’absence de certains biomarqueurs, avant la prescription.9
Le diagnostic des prédispositions génétiques est effectué dans le cadre du dispositif national d’oncogénétique. Par exemple, environ 2 à 5 % des cancers du sein et de l’ovaire sont dus à une prédisposition génétique, souvent liée aux gènes BRCA1 et BRCA2. Pour les femmes présentant cette prédisposition, un suivi spécialisé est proposé.8
Les thérapies ciblées pour un traitement individualisé
Aux chimiothérapies conventionnelles, s’ajoutent désormais les thérapies ciblées qui font partie de la médecine de précision. Ces traitements sont basés sur une meilleure compréhension des mécanismes biologiques des cancers. Ils sont prescrits en fonction des caractéristiques moléculaires spécifiques de la tumeur de chaque patient, offrant ainsi un traitement plus personnalisé et adapté pour une meilleure prise en charge, augmentant les chances de succès thérapeutique.9
Les thérapies ciblées et l’immunothérapie spécifique bloquent la croissance et/ou la prolifération des cellules tumorales. Leur principal mode d’action consiste à inhiber spécifiquement les mécanismes de l’oncogenèse, en ciblant les cellules cancéreuses ou leur microenvironnement. 9
La nanomédecine, futur de la médecine personnalisée
La nanomédecine représente une avancée prometteuse dans le développement de nouvelles technologies diagnostiques, permettant de détecter une maladie le plus tôt possible en recherchant des biomarqueurs. Ces biomarqueurs sont des caractéristiques moléculaires mesurables objectivement, indiquant le fonctionnement normal ou anormal des processus cellulaires au niveau de l’ADN, de l’ARN ou des protéines. Les nanodispositifs de détection prédictive et de surveillance biologique sont une facette de la nanosanté, offrant la promesse d’une médecine personnalisée.6
L’approche de la nanomédecine vise à offrir un diagnostic personnalisé pour proposer un traitement sur mesure adapté à chaque patient. Le concept de “théragnostic” en est un exemple, consistant à développer des dispositifs nanométriques modulaires combinant diagnostic et thérapie pour fournir un traitement personnalisé. Ces nanoplateformes multifonctions intègrent des agents de contraste pour une imagerie précise et des agents thérapeutiques spécifiques au patient, permettant ainsi de suivre la réponse au traitement.6
Enjeux et risques de la médecine personnalisée
Big Data et partage des données.
Pour s’inscrire dans une approche prédictive et préventive, la médecine personnalisée requiert une masse considérable de données, nécessitant la constitution de grandes bases de données appelées « Big Data » et comprenant des facteurs biologiques, environnementaux et socio-démographiques.7
Un phénomène a été concomitant à l’avènement du Big Data : le partage des données grâce aux Health Data Hub. La entre chercheurs est essentielle pour exploiter au mieux les informations disponibles. Cependant, les jeux de données recueillis par les cliniciens sont très volumineux.
Par exemple, les données oncologiques peuvent représenter des centaines de millions de giga-octets, rien qu’aux Etats-Unis (en estimant qu’une seule tumeur représente un volume de 100 Go de données).7
Les datacenters qui abritent d’innombrables serveurs informatiques stockant ces données, contribuent de manière significative à la pollution numérique. Cela met en évidence l’urgence de trouver des solutions durables pour atténuer l’impact environnemental du Big Data.10
Enjeux éthiques et économiques
La sécurité et la confidentialité des données sensibles des patients sont des enjeux majeurs dans ce contexte, car l’anonymat devient de plus en plus difficile à garantir face aux techniques de recoupement et à la capacité d’identifier un individu à partir des caractéristiques pourtant déclarées anonymes (comme des informations génétiques). Pour préserver la vie privée et éviter une dictature des données, il est impératif de mettre en place un cadre éthique et sécuritaire au niveau international.11
De plus, l’utilisation de données génétiques pose des questions sur le consentement éclairé des patients et la manière dont ces données peuvent être utilisées tout en respectant leur autonomie et leurs droits. Il est pratiquement impossible d’obtenir le consentement individuel de chaque personne concernée à chaque étape de traitement des données. Une approche possible pourrait être d’utiliser la notion de non-opposition à l’utilisation de leurs données.12
D’autre part, l’accès équitable à la médecine personnalisée peut être inégalitaire avec des disparités dans l’accès aux traitements et aux soins. Les coûts associés à la collecte, au stockage et à l’analyse des données massives peuvent également être prohibitifs pour certains systèmes de santé ou certaines populations.12
Sur le plan économique, la médecine personnalisée offre des opportunités de réduction significative des coûts de santé en permettant jusqu’à 300 milliards de dollars d’économies pour le système de santé américain grâce à l’utilisation du Big Data et la baisse des coûts du séquençage.7,11
Conclusion
La médecine personnalisée offre des perspectives prometteuses pour une meilleure prise en charge des patients en leur permettant d’obtenir le bon traitement. Cependant, son déploiement et sa mise en place à grande échelle nécessite de relever les défis techniques, éthiques et économiques qui l’accompagnent. En répondant à ces enjeux, nous pourrions nous rapprocher d’une médecine 100 % personnalisée, offrant des soins sur mesure et une meilleure qualité de vie pour chaque individu.
Références
1. Médecine personnalisée : en marche vers le « sur mesure ». Innov’Asso. 2020. Disponible sur : innovasso.fr/dossier/medecine-personnalisee-en-marche-vers-le-sur-mesure-volet-1/. Consulté en 07/2023.
2. De quoi la « médecine personnalisée » est-elle véritablement le nom ? Revue Médicale Suisse. 2023.
3. La recherche translationnelle expliquée. Centre Léon Bérard. Disponible sur : centreleonberard.fr/institution/actualites/la-recherche-translationnelle-expliquee. Consulté en 07/2023.
4. Médecine personnalisée : un concept flou, des pratiques diversifiées. Med Sci (Paris). 2014. Disponible sur : medecinesciences.org/en/articles/medsci/abs/2014/11/medsci2014302sp8/medsci2014302sp8.html. Consulté en 07/2023.
5. Qu’est-ce que la médecine de précision ? Institut National du Cancer. Disponible sur : e-cancer.fr/Comprendre-prevenir-depister/Comprendre-la-recherche/La-medecine-de-precision/Qu-est-ce-que-la-medecine-de-precision. Consulté en 07/2023.
6. De la nanomédecine à la nanosanté : vers un nouveau paradigme biomédical. OpenEdition Journals. 2014.
7. Comment le Big Data révolutionne la recherche en santé ? Institut Pasteur. 2018. Disponible sur : pasteur.fr/fr/journal-recherche/dossiers/comment-big-data-revolutionne-recherche-sante. Consulté en 07/2023.
8. Médecine de précision préventive et prédispositions génétiques. Institut National du Cancer. Disponible sur e-cancer.fr/Comprendre-prevenir-depister/Comprendre-la-recherche/La-medecine-de-precision/Medecine-de-precision-preventive-et-predispositions-genetiques. Consulté en 07/2023.
9. Médecine de précision : les thérapies ciblées. Institut National du Cancer. 2022. Disponible sur : e-cancer.fr/Professionnels-de-sante/Les-therapies-ciblees/Medecine-de-precision-les-therapies-ciblees. Consulté en 07/2023.
10. Big data : l’impact environnemental des données et du numérique. Institut Pasteur. 2021. Disponible sur : openscience.pasteur.fr/2021/11/25/big-data-limpact-environnemental-des-donnees-et-du-numerique/. Consulté en 07/2023.
11. Guigue Laurent, et Christophe Richard. Le Big data en Santé préfigure-t-il la « médecine 3.0 » ?. Hegel. 2014;3(3):273-278.
12. Big data et pratiques biomédicales. Les Cahiers de l’Espace Éthique. 2015. Disponible sur : espace-ethique.org/sites/default/files/Cahier de lEE Big Data 2015.pdf. Consulté en 07/2023.