Il faudra valoriser les données en vie réelle issues des autorisations d’accès précoce
Huit mois après la mise en place du nouveau dispositif d’accès dérogatoire aux traitements, la rupture avec l’ancien système des autorisations temporaires d’utilisation (ATU) n’est pas flagrante, estiment Paul Cottu et Thomas Genevee, respectivement oncologue et pharmacien adjoint à l’Institut Curie. Sauf à ce que les données cliniques transmises soient enfin exploitées.
L’un des principaux arguments avancés en faveur du nouveau dispositif d’autorisations d’accès précoce (AAP) et d’accès compassionnel (AAC) était une simplification par rapport aux ATU, avec un guichet unique pour les industriels au niveau de la Haute Autorité de santé (HAS). Est-ce le cas pour vous en tant que professionnels de santé ?
Paul Cottu : Je ne sais pas si on peut parler de simplification. Il s’agit davantage d’une “requalification” qui a le mérite de la clarté. La nécessité de simplification ne se posait d’ailleurs pas forcément. Nous avons la chance en France de bénéficier de ces systèmes d’accès précoce à des traitements non disponibles sur le marché, mais qui peuvent être médicalement utiles. On peut comprendre que cela nécessite une procédure, pas si compliquée de surcroît.
Thomas Genevee : Il est vrai que l’aspect “simplification” avait été mis en avant pour cette réforme, sachant qu’il y aurait moins de statuts réglementaires. Sauf qu’en pratique, l’AAP est resubdivisée en pré- et post-AMM, et que l’AAC se distingue par ailleurs du cadre compassionnel. La simplification n’est pas criante…
Quels sont les gros changements par rapport aux ATU ?
P. C. : Pas grand-chose ne change pour nous en fait. L’intérêt du nouveau dispositif d’accès précoce, des AP1 et AP2, est plutôt de clarifier les indications avant et après AMM*. Les prescripteurs continuent d’initier les demandes auprès des industriels sur des plateformes en ligne, dont beaucoup n’ont pas changé.
T. G. : Pour les AAP, nous avons toujours une réponse de l’industriel en moyenne dans les 24 heures. Pour l’AAC, elle est instantanée si l’ensemble des critères d’accès est conforme. Quant aux plateformes, elles étaient en effet déjà utilisées avec le système ATU, mais elles sont désormais devenues systématiques, avec une multiplication des identifiants et mots de passe pour chaque molécule, voire pour une indication donnée.
Parmi les changements, je soulignerais un effort de transparence, toutes les fiches justifiant les décisions étant publiées sur le site de la HAS, de même que les demandes en cours d’évaluation. Par ailleurs, il faut noter que les associations de patients et groupes d’usagers sont désormais sollicités pour les demandes d’AAP et donc entendues dans le cadre du processus décisionnel. On a vu l’importance que cela a pu avoir dans des autorisations récentes.
Que dites-vous du recueil de données en vie réelle ?
P. C. : Il y a toujours un manque de retour sur les informations que nous envoyons, alors que ces données “en vie réelle” pourraient être très intéressantes vu le nombre de patients concernés à l’échelon national. Même sans être monitorées, elles pourraient nous donner une photo d’informations diagnostiques et de suivi thérapeutique précieuses pour la communauté médicale. Par exemple, pour utiliser un médicament efficace, mais toxique, en apprenant à gérer cette toxicité. Quant au nouveau dispositif, force est de constater que très peu de données sont pour l’instant demandées sur les plateformes d’AAP.
T. G. : En pratique, on remarque pour l’instant qu’il s’agit globalement des mêmes fiches de suivi qu’avec les molécules sous ATU. Ce qui change, c’est la collecte de données sur la qualité de vie des patients pour certains médicaments en accès précoce pré-AMM. Peut-être le financement prévu pour ce recueil de données (par convention entre industriel et établissement de santé) poussera-t-il à être plus exhaustif dans les données recueillies. Les industriels soulignent qu’un accès précoce pourrait s’arrêter en cas d’insuffisance des données récoltées. Reste à savoir si cela peut être applicable/appliqué…
Pour l’autorisation d’accès compassionnel (ex-ATUn), le cadre reste le même qu’avant ?
P. C. : Oui, le prescripteur continue de faire chaque demande à l’ANSM via e-Saturne avec sa carte CPS.
T. G. : Et toutes les ATU nominatives ont automatiquement basculé vers l’accès compassionnel, ce qui n’est pas le cas pour les ATU de cohorte (ATUc) vers l’accès précoce. C’est la difficulté de cette période où coexistent des molécules sous ATUc ou post-ATU et des traitements en AAP.
Le cadre de prescription compassionnel est-il plus sécurisant que les anciennes recommandations temporaires d’utilisation (RTU) ?
T. G. : Ce qui peut changer ici est la prise en charge par l’assurance-maladie. En effet, les molécules sous RTU n’étaient pas forcément financées, alors qu’un traitement dans un cadre de prescription compassionnel sera forcément remboursé par l’assurance maladie dans l’indication donnée.
Dans le nouveau système d’accès dérogatoire aux traitements, l’engagement du laboratoire à demander une prise en charge (AMM, remboursement) dans un certain délai constitue-t-il un progrès ?
P. C. : Ce sera le cas si une AAP est limitée dans le temps. A l’heure actuelle, les durées d’autorisation d’un an renouvelable sont suffisamment longues pour faire avancer les dossiers patients. Le problème est plutôt le remboursement. Nous avons vu des exemples de produits sous AMM non remboursés, pesant donc sur les budgets hospitaliers, ce qui est aberrant et met les praticiens dans une situation intenable.
T. G. : Rappelons à cet égard que la HAS, qui autorise maintenant l’accès précoce, intervient aussi dans l’évaluation du médicament en vue de son remboursement. Il est précisé que l’analyse des données recueillies dans le cadre de l’accès précoce contribuera aussi ici au travail de la Commission de la transparence. En toute logique, nous devrions éviter le cas rencontré par le passé d’ATUc n’ayant pas débouché sur un remboursement même si ce risque n’est pas totalement exclu.