Le suivi des données en vie réelle permettra un accès plus précoce aux traitements innovants
Pharmacien clinicien, praticien spécialiste au Centre de lutte contre le cancer (CLCC) de Dijon, Sébastien Saliques a occupé la fonction de coordonnateur scientifique et technique du Réseau régional de cancérologie (RRC) OncoBourgogne avant d’en prendre la direction médicale en vue de la fusion avec le réseau Oncolie (RRC de Franche-Comté). Il relève qu’un accès à tout traitement est possible dès lors que ce recours est étayé.
Un thésaurus régional des traitements en oncologie a été élaboré. Cet accès rapide des praticiens à l’information est un prérequis pour un recours précoce au “bon” traitement…
Oui, une grande part de mon activité était consacrée au sein du réseau OncoBourgogne à l’élaboration d’un thésaurus des protocoles de chimiothérapie. Nous y avons fait figurer un maximum de choses actées d’un point de vue référentiels. Nous avons parfois, dans ces référentiels, des traitements qui ne sont pas dans les AMM, mais qui sont totalement justifiés par des références bibliographiques avec un fort niveau de preuve. D’où l’importance pour nous de les tenir à jour en faisant le tri dans les protocoles utilisés et en recherchant une homogénéité sur le territoire. Ce thésaurus sera aussi mis à jour prochainement sur la grande région avec la Franche-Comté.
Comment procédez-vous pour les cas plus spécifiques qui ne figurent pas au thésaurus ?
Nous sommes, avec ma collègue du CHU, les pharmaciens référents pour les traitements hors standards. Les établissements qui sont en difficulté, publics comme privés, nous contactent directement et nous leur fournissons les références bibliographiques justifiant l’utilisation d’un protocole donné sur les organes pour lesquels nous sommes référents.
Au CLCC, pour les patients qui se retrouvent dans des situations de deuxième, troisième ou quatrième ligne, nous organisons des réunions de recours. C’est une sorte de réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP) entre oncologues et pharmaciens où ces cas sont discutés pour essayer de trouver le traitement adéquat. Nous y avons, par exemple, eu recours au départ pour les immunothérapies. C’est aussi le cas avec les AMM européennes qui ne bénéficient pas encore d’un remboursement en France. Le traitement est validé collégialement et visé, le cas échéant, par le directeur lorsque nous savons que le remboursement est incertain.
Cela ne passe pas forcément par des études cliniques ?
Nous essayons d’inclure un maximum de patients dans des essais cliniques. Au CLCC, nous en avons énormément en phase I. Mais quand nous ne pouvons pas, nous essayons de trouver une solution, quitte à ce que l’établissement finance lui-même le traitement. Cela permet au patient de bénéficier d’une innovation même si, en théorie, il ne peut pas obtenir une autorisation temporaire d’utilisation (ATU) ou participer à une étude clinique.
C’est le cas sur les thérapies ciblées ?
Oui, nous avons énormément de patients inclus sur ces traitements qui sont reçus par l’oncologue, puis par le pharmacien et enfin une infirmière. Nous avons également un système de suivi informatique avec un appel des patients toutes les semaines par une infirmière durant les quatre à six premières semaines de traitement, ou un autoquestionnaire rempli par le patient avec un retour en temps réel, avec un système automatisé de niveau d’alerte d’effets indésirables. Puis nous entrons en relation avec l’officine qui va dispenser le traitement. Quand un oncologue veut mettre en place une thérapie ciblée non remboursée ou hors standards, nous passons par une demande dérogatoire auprès de l’assurance maladie, le pharmacien élaborant alors avec l’oncologue le dossier que l’ARS transmettra à la CPAM puis à la CNAM pour accord.
Nos dossiers comprennent les références bibliographiques existantes, ainsi que les résultats d’études NGS (Next Generation Sequencing) pour la recherche de mutations. Le taux d’acceptations est de l’ordre de 75% au régime général, pour des coûts mensuels pouvant atteindre 15 à 20000 euros. Cet accès précoce au traitement est couplé à nos consultations de primoprescription de thérapies orales. La CPAM exige un suivi à trois et six mois pour réévaluation, incluant notamment les résultats d’imagerie.
Une telle procédure dérogatoire permet-elle de gagner un temps conséquent ?
Le dispositif existe depuis l’automne 2018. Les premières demandes ont pu prendre jusqu’à deux mois. Dorénavant, nous avons des accords en 15 jours si le dossier est bien complet. De notre côté, nous anticipons les demandes dès la mise en place d’une chimiothérapie, au cas où celle-ci ne marcherait pas et serait remplacée par une thérapie ciblée.
Que manque-t-il aujourd’hui pour accélérer l’accès aux traitements ?
Les dispositifs d’ATU et d’AMM sont trop longs. Notre dispositif d’accès dérogatoire pourrait lui aussi être fluidifié et surtout étendu au-delà des thérapies orales. Evidemment, la tarification à l’activité freine aussi énormément l’accès précoce des patients aux innovations. A cet égard, les systèmes “d’enveloppe innovation” imaginés dans le cadre de l’article 51 pourraient être intéressants pour des patients qui ne peuvent pas entrer dans des études cliniques aux critères d’inclusion drastiques. Cela nécessitera un suivi des données en vie réelle. Celles-ci devraient être développées au maximum, avec potentiellement des remboursements à la performance. Je pense que cela pourrait même constituer une alternative au système actuel d’accords de prix.
Le processus dérogatoire que vous décrivez au terme de vos réunions de recours, c’est un petit peu ça…
Oui, mais il n’est malheureusement pas transposable à grande échelle. Dans ces conditions, certains établissements laissent un reste à charge au patient, qui finance lui-même l’innovation. D’autres prennent sur leur budget, c’est la politique des CLCC et de beaucoup de CHU. C’est le paradoxe des tutelles qui nous demandent de favoriser l’innovation… mais qui ne la remboursent pas.
Propos recueillis par François Silvan