Laura Foucault-Fruchard, MCU-PH au CHU de Tours – Thomas Brunet, titulaire d’officine à Saint-Épain (37) et président d’Apodis : « Le digital, outil indispensable du pharmacien clinicien dans le lien ville-hôpital »
Le CHU de Tours a lancé en 2019 le Programme d’accompagnement renforcé (PAR) pour les patients traités par thérapie ciblée orale (TCO) pour un cancer bronchique non à petites cellules. Il implique les pharmaciens du CHU ainsi que des officinaux tourangeaux.
“Avec le PAR, les pharmaciens sont au cœur même du parcours de soins des patients au quotidien”
PAR est un dispositif ville-hôpital, mis en place à la demande des pneumologues et plébiscité aujourd’hui par les oncologues, qui s’appuie sur la pharmacie clinique, explique Laura Foucault-Fruchard, pharmacienne référente des activités de pharmacie clinique au CHU de Tours.
Décrivez-nous le parcours lié au PAR…
Lors de la consultation d’annonce, l’oncologue propose ce suivi au patient qui s’engage alors à fournir les coordonnées de son pharmacien d’officine. Le pharmacien hospitalier contacte ce dernier pour obtenir son accord sur sa participation, échanger sur le traitement, lui transmettre la fiche de bon usage de la TCO et l’ordonnance de précommande. Un entretien (1h à 1h30 environ) a lieu au CHU dix jours après l’initiation du traitement entre le patient et un binôme pharmacien hospitalier-infirmière d’annonce. Le compte-rendu est mis à la disposition du pneumologue et du pharmacien d’officine. Celui-ci réalise ensuite pendant six mois un entretien mensuel avec le patient (sur l’adhésion au traitement, le bon usage, les effets indésirables, l’automédication…) et complète des fiches de suivi qui nous sont envoyées. A six mois, le pharmacien hospitalier fait un compte-rendu à l’attention du pneumologue. Un nouvel entretien peut se tenir avec le patient, toujours en binôme avec l’infirmière, si des difficultés d’adhésion thérapeutique sont identifiées.
Sur le plan médicamenteux, nous faisons un bilan à la primo-prescription de la TCO. Nous nous informons des traitements chroniques du patient, éléments qui sont complétés lors de notre entretien et via le Dossier pharmaceutique. Ces entretiens permettent notamment d’avoir connaissance de l’automédication et des prises de phytothérapie, dont on connaît aujourd’hui les fortes interactions avec les traitements cancéreux. Un plan de prise au jour le jour est remis au patient.
Quelle a été la genèse de ce programme et quelles sont ses perspectives ?
La PUI de l’Hôpital Bretonneau a initialement été sollicitée par des pneumologues qui avaient eu connaissance d’un dispositif similaire lors d’un congrès à Lille. Nous y avons ajouté un suivi par les officinaux avec le retour de fiches mensuelles. Les retours des pneumologues et des infirmières d’annonce sont excellents et l’exemple concret de la cinquantaine de patients déjà inclus a éveillé l’intérêt d’autres médecins. A tel point que l’objectif est désormais d’élargir le programme en onco-hématologie courant 2023. La porte est ainsi ouverte pour de nombreux autres patients atteints de cancers (sein, leucémie, etc.) et aux patients allogreffés (déjà suivis en entretiens pharmaceutiques complémentairement aux entretiens des infirmières de pratique avancée).
Par ailleurs, à partir de février 2023, un troisième, voire un quatrième professionnel pourra voir le patient dans la foulée de son entretien avec le binôme pharmacien-infirmière si l’oncologue le juge nécessaire : psychologue, médecin spécialisé dans la prise en charge de la douleur, diététicien (par exemple dans le cas d’effets secondaires type perte de poids ou diarrhée). Une infirmière de coordination nous aidera à articuler nos interventions autour du patient.
Comment parvenez-vous à faire face en termes de ressources humaines ?
La mise en œuvre du dispositif a pris pas mal de temps, mais nous avons eu la chance d’avoir en stage à temps plein Gaëlle Glévarec, pharmacien MCU et désormais responsable de la filière officine à la faculté de pharmacie de Tours. Elle a monté le programme avec Daniel Antier, PU-PH au CHU. Daniel, moi-même, ainsi que deux collègues de l’unité de production des chimiothérapies, réalisons la conduite des entretiens. Nous nous faisons aider par des internes en pharmacie clinique pour les préparer. Quant au développement du PAR auprès d’autres services, il sera rendu possible par l’élargissement des forfaits en hôpital de jour en finançant du temps pharmaceutique, comme celui des autres intervenants.
Le PAR est-il un exemple emblématique de l’apport et de l’essor de la pharmacie clinique dans le cadre du lien ville-hôpital ?
Oui, dans un cadre interprofessionnel. Nous sommes complémentaires à l’oncologue et à l’infirmière dans le suivi proposé aux patients dans le PAR. De plus, le lien ville-hôpital est maintenu tout au long du parcours. Les retours des officinaux sont très bons, ils peuvent suivre leur patient dans leur parcours hospitalier, apprécient nos fiches de bon usage… Ils se sentaient isolés auparavant, s’agissant de patients aux parcours compliqués. Désormais, ils peuvent nous joindre à tout moment dans le cadre du PAR. Charge ensuite au pharmacien hospitalier, si nécessaire, de faire le relais auprès de l’infirmière d’annonce ou du pneumologue. Les officinaux nous contactent d’ailleurs très régulièrement pour signaler des effets indésirables, connaître les conseils spécifiques à donner à l’officine, échanger sur de potentielles interactions médicamenteuses. Nous avons même eu écho d’officinaux continuant à compléter les fiches de suivi au-delà des six mois que dure le PAR et même plus d’un an après. Nous sommes au cœur même de la clinique au quotidien. On le voit d’ailleurs à l’appétence des officinaux pour une formation d’une journée que nous avons mise en place sur l’accompagnement des patients sous anticancéreux oraux à la faculté de pharmacie de Tours. Elle remporte un franc succès, ce qui va nous conduire à multiplier les sessions.
Plus largement, voilà un certain nombre d’années que nous allons au-delà de la conciliation médicamenteuse au CHU de Tours avec une analyse pharmaceutique, des entretiens pharmaceutiques ciblés avec les patients, des séances d’éducation thérapeutique. Avec ce programme d’accompagnement renforcé, nous sommes vraiment dans le cadre d’un plan pharmaceutique personnalisé tel que défini par la Société française de pharmacie clinique.
“En faisant gagner un temps fou, le digital favorise l’adhésion aux programmes type PAR”
Dans le PAR, le digital facilite non seulement le travail quotidien du pharmacien clinicien, mais aussi son adhésion à ce type de programme, souligne Thomas Brunet, officinal participant au PAR et cofondateur d’Apodis.
Apodis est un écosystème incluant à la fois le patient avec une appli (conseils de bon usage, notices, plan de prise, historique et envoi d’ordonnances, suivi…), mais aussi le pharmacien avec une communication facilitée. Comment avez-vous été amené à l’adopter dans le cadre du PAR ?
Quand j’ai commencé à prendre en charge des patients en tant qu’officinal via le programme PAR, il me fallait une heure pour faire le travail demandé par le pharmacien hospitalier à partir de la fiche du patient, récupérer toutes les ordonnances, etc. J’ai suggéré d’utiliser Apodis, qui existait déjà, pour nous faciliter la vie.
Le point fort d’un outil comme Apodis est de maîtriser la data. Le programme PAR est un bel exemple de la raison pour laquelle nous avons créé cette solution avec une dizaine de pharmaciens d’officine. Dans le PAR, l’instauration de traitement est lancée par l’oncologue et le programme d’accompagnement est initié par le pharmacien hospitalier via un entretien patient mené avec l’infirmière et portant notamment sur le bon usage. Investi dans ce dispositif de suivi, l’officinal réalise chaque mois un entretien avec le patient, recueille les données nécessaires et interagit autant que de besoin avec son confrère hospitalier. Or, nous avons identifié que cela nous prend énormément de temps en pharmacie de ville et nécessite une forte implication des équipes qu’il est difficile de maintenir mobilisées sur les six mois du PAR. Dans ce contexte, le but d’Apodis est d’automatiser un maximum de tâches, ce qui nous fait tous gagner un temps fou et favorise la participation au programme et son adhésion par les officinaux. On le voit un peu partout en France, les programmes de ce type sont tous très encourageants, mais le frein principal identifié est le temps nécessaire à y consacrer.
La condition sine qua non de la plus-value d’une solution digitale, c’est son interopérabilité…
Complètement. Apodis s’intègre par exemple complètement dans tous les dispositifs numériques existants. Aucun développement n’est nécessaire. En l’occurrence, elle ne fait qu’intégrer la donnée de façon automatique et sécurisée dans les outils déjà en place. C’est un hub de solutions interopérables qui peut venir s’interconnecter avec toute autre solution de conciliation médicamenteuse ou d’entretien pharmaceutique hospitalière (type Synapse, Hospiville, Posos, Bimedoc…, pour ne citer que les plus utilisées à l’heure actuelle). Pour obtenir l’adhésion des utilisateurs, il est primordial de leur faire gagner du temps et de proposer des solutions faciles avec une bonne expérience utilisateur. C’est le rôle des start-ups qui doivent chacune apporter leurs plus-values et s’interconnecter entre elles sans créer un “mille-feuille” de solutions.
Apodis s’intègre ici dans le parcours de soins et l’outil métier pour sécuriser, automatiser la saisie, l’envoi d’ordonnances…, et fluidifier les échanges de données. Les pharmaciens ont accès à tout moment au dossier patient, aux ordonnances, aux bilans officinaux mensuels, aux signalements de problèmes de pharmacovigilance, d’adhésion au traitement, au bilan hospitalier semestriel… Côté patient, il dispose dans son appli Apodis de ses ordonnances, des fiches Oncolien, il peut vérifier ses prochains rendez-vous, identifier le parcours de soins, avec des notifications de prise et de renouvellement de traitement pour éviter toute rupture d’approvisionnement…
Outre le manque de temps, l’un des freins potentiels à ce type de programme côté officine est la crainte liée à certaines pathologies et traitements que l’on ne connaît pas. Le digital apporte-t-il ici aussi une partie de la réponse ?
Effectivement, le pharmacien a en permanence accès à toutes les informations personnalisées nécessaires grâce à l’outil numérique (documentation sur la pathologie, le médicament…),et la réassurance d’un contact hospitalier facilement accessible en cas de besoin. Dans le PAR, nous avons intégré une plateforme qui facilite les partages d’informations et crée une communauté autour du dispositif, permettant une animation autour de visios par exemple.
De plus, la technologie Apodis permet à chaque membre de l’équipe d’avoir accès à l’information nécessaire sur tous les écrans de la pharmacie, avec un parcours facilité pour l’aider lorsque le patient est au comptoir. Quand le patient revient à l’officine, il est possible en effet qu’un pharmacien différent ou un préparateur le reçoive. L’aide numérique facilite la continuité de la prise en charge.
Quelle est votre perception, en tant qu’officinal participant au PAR, du rôle de pharmacien clinicien et de sa contribution au renforcement du lien ville-hôpital ?
En voyant émerger ce type de programme, j’aurais envie de dire “enfin !”. Le PAR rassure énormément le patient. Il est d’autant plus attentif et observant qu’il se sent suivi de près, à la fois côté hospitalier et en ville. Côté pharmacien, c’est extrêmement enrichissant. Et travailler avec des praticiens hospitaliers est très valorisant.
Quant à la construction du lien ville-hôpital, le pharmacien en prend en effet une part importante dans le cadre de ses nouvelles missions qui renforcent de plus en plus son rôle de clinicien. Mais il faut prendre garde à ne pas “siloter” les métiers. On n’a pas d’un côté le médecin hospitalier qui parle au généraliste, de l’autre le pharmacien hospitalier qui s’adresse à l’officinal, etc. L’objectif est l’interprofessionnalité, que tout le monde travaille ensemble dans le parcours. Le pharmacien a ici pour lui d’être très disponible, permettant un contact régulier et sûr avec le patient et avec l’hôpital autant que nécessaire. Le PAR est un parfait exemple.
Propos recueillis par François Silvan