Pr Catherine Rioufol : “La capacité à recueillir des données de vraie vie via la digitalisation vous rend plus attractif pour développer des essais”
Pr Catherine Rioufol, chef de service Pharmacie du Groupement hospitalier sud des HCL et responsable du dispositif Oncoral :
“La capacité à recueillir des données de vraie vie via la digitalisation vous rend plus attractif pour développer des essais”
Le programme Oncoral de suivi pluridisciplinaire ville-hôpital de patients traités par anticancéreux oraux fait déjà l’objet de trois essais cliniques, grâce à la collecte et à l’analyse de données en vraie vie permettant une démarche itérative entre parcours de soins et programme de recherche, explique Catherine Rioufol, chef de service Pharmacie. Une “mécanique” efficace qui a permis aux Hospices Civils de Lyon de participer à la plus importante expérimentation art. 51 en passe de déboucher (45 établissements, 15.000 patients).
Comment la digitalisation vous a-t-elle permis de créer ce cercle vertueux entre soins et recherche ?
Dès le départ, le parcours de soins a été adossé au programme de recherche Pacome (Patient Cancer Oral Medication). Il s’agit en fait de la base de données (BDD) de vie réelle des patients suivis par Oncoral (500 nouveaux inclus par an), qui sont collectées par des auto-questionnaires ou des attachés de recherche clinique, en s’appuyant sur le dossier patient informatisé (DPI) ou une application numérique. Nous collectons les critères socio-démographiques, des données d’efficacité, de survie, de tolérance, de qualité de vie… et les vulnérabilités psychosociales. L’analyse de ces données permet d’améliorer les soins et, le cas échéant, de personnaliser le parcours pour un patient ou une population donnée. Mais aussi de voir comment déployer le parcours à une échelle territoriale, comment expliquer des problèmes d’observance à un moment précis du parcours, comment mieux répondre aux besoins des patients, mais aussi des professionnels de santé hospitaliers et libéraux. Parcours et recherche font ainsi partie d’une même boucle et s’autoalimentent.
Avec à la clé plusieurs essais cliniques…
C’est grâce à ce dispositif que nous avons en effet réussi à développer trois essais cliniques : PRISM Care (sur l’impact d’Oncoral chez les patients atteints de cancer du rein métastatique), DROP (étude portée par la SFPO) qui évalue une intervention pharmaceutique chez les patients traités par tous anticancéreux oraux confondus, et un programme de recherche médico-économique. L’analyse des données a permis de prouver ici l’amélioration de l’observance, des remontées d’effets indésirables, d’interactions médicamenteuses…, et a permis d’aller vers l’art. 51 dans la mesure où un bénéfice était déjà démontré sur notre population.
L’expérimentation art. 51 a nécessité une intégration numérique supplémentaire ?
Oui, nous avons en plus intégré la solution numérique Synapse Medicines qui nous permet, en interface avec le DPI Easily® et la messagerie sécurisée Sara monSisra, de fluidifier la conciliation médicamenteuse et de faciliter les Patient-Reported Outcomes Measures (PROMs) via la télésurveillance, l’algorithme permettant à l’infirmière de coordination d’anticiper des effets indésirables de grades 3 et 4 et d’adapter la conduite à tenir selon la situation de chaque patient. La digitalisation permettra aussi de mesurer l’observance à une tout autre échelle de précision que les échelles subjectives utilisées jusque-là et de solliciter des recueils d’observance à des moments de fragilité identifiés. Et bien sûr il permet de pousser de l’information ainsi que des questionnaires pour recueillir des données de vraie vie. On voit là un corollaire avec les nouveaux dispositifs d’accès précoce et compassionnel qui se rapprochent des conditions d’essais cliniques, avec des taux de complétude de 90%… Sans digitalisation, ces contraintes seront vite trop chronophages.
L’interopérabilité est-elle encore ici un obstacle ?
Aujourd’hui, la BDD Pacome est construite comme une BDD d’essai clinique et n’est pas interopérable. Pour autant, pour l’art. 51, plusieurs mois de travail ont permis d’interfacer la solution numérique de la start-up, le DPI et la messagerie sécurisée de santé. A l’avenir, l’enjeu sera d’organiser la collecte des data dans les parcours de soins et d’enrichir des BDD et des entrepôts de données. C’est au prix de cet investissement que nous ouvrirons la voie de l’IA. Par ailleurs, interfacer des outils signifie aussi interfacer des acteurs de proximité dans un objectif de personnalisation des suivis et d’évaluation. Pour développer des projets de recherche, les établissements de santé auront besoin de partenariats, incluant les professionnels de santé libéraux, les autorités de santé, mais aussi les industriels et les start-ups en santé.
On voit tout ce qui est rendu possible par le numérique et la donnée. Cette digitalisation constitue-t-elle désormais un facteur d’attractivité pour les essais ?
Les promoteurs ouvrent des essais cliniques dans les centres où ils ont des garanties de qualité d’inclusion de patients. Le circuit du médicament et la capacité de recueil de données en font partie. Il est bien évident que les centres qui démontrent leur capacité à recueillir des données qualitatives et à les partager deviendront les plus attractifs pour développer des essais cliniques, mais également des expérimentations dans le cadre de partenariats avec des industriels et des institutionnels.
Dans la recherche clinique, les pharmaciens de PUI sont aujourd’hui responsables du circuit des produits de santé expérimentaux. Ils peuvent aussi conduire des études comme investigateurs, par exemple pour mesurer l’impact d’interventions pharmaceutiques. Et s’impliquer dans le recueil et l’analyse de données de vie réelle qu’ils utilisent au quotidien. Demain, le premier objectif pour l’industrie pharmaceutique sera d’assurer ces remontées de data, y compris en s’appuyant sur des cohortes type Pacome, pour évaluer le bon usage et l’utilisation des produits de santé sur une population donnée. De plus, les médicaments feront l’objet de réévaluations, ce qui posera la question du type de données à recueillir (y compris de qualité de vie), du moment de recueil et du format. La réduction des inégalités d’accès à l’innovation passera aussi par là.
Et si vous deviez citer un autre facteur majeur d’attractivité pour les essais cliniques ?
Les établissements multisites pourraient développer un modèle proposant aux promoteurs industriels et académiques une structure administrative unique. Cela permet à un site d’être site investigateur principal (avec une pharmacie de référence) tout en incluant les patients sur l’ensemble des sites. Et ce n’est jamais le même site qui est investigateur principal. C’est ce que nous avons développé aux Hospices Civils de Lyon avec l’Unité de Recherche Commune en Oncologie Thoracique (URCOT). Cela a permis de multiplier par deux à trois notre potentiel d’inclusion en essais cliniques, en prenant en compte les inclusions de tous les groupements hospitaliers. Pour être attractif, il faut repenser nos organisations.
Propos recueillis par François Silvan